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Zygmunt Bauman : Les riches font-ils le bonheur de tous ? Podcast de France Culture (L'essai et la revue du jour de Jacques Munier - 27/05/14) | Philosophie et Management

Zygmunt Bauman : Les riches font-ils le bonheur de tous ? Podcast de France Culture (L'essai et la revue du jour de Jacques Munier – 27/05/14)

  27.06.2014   |     Inégalités, Rémunérations, Richesse, Ruissellement
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C’est la fameuse « théorie du ruissellement » qui pose problème au penseur de la « société liquide »… Ceux qui créent de la richesse pour eux-mêmes en feraient bénéficier tous les autres grâce aux emplois induits, à la croissance générée, aux progrès réalisés. C’est pourquoi, pour récompenser et retenir les hommes exceptionnels qui produisent ces richesses en cascade, les entreprises leur versent des salaires mirobolants, pour le plus grand bien de tous – à commencer par leurs actionnaires. Le problème, comme on l’a vu ces derniers temps, c’est que ces rémunérations sidérales ne sont pas réservées qu’à ceux qui réussissent mais constituent une sorte d’assurance, de garantie même pour ceux qui échouent, voire font carrément faillite. Ce qui ruisselle alors, c’est chômage et précarité pour tous. Et comment comprendre que la hausse de plus de 4000% de la rémunération moyenne des cadres dirigeants britanniques au cours des trente dernières années soit due à une augmentation proportionnelle de leurs capacités managériales ? En 1960, le salaire moyen du directeur d’une grande entreprise américaine était 12 fois supérieur à celui d’un ouvrier, en 1974, 35 fois, en 1980 42 fois et dix ans plus tard 84 fois. Cet accroissement exponentiel de la richesse des riches ne va pas pour l’essentiel à l’économie réelle mais dans les hautes sphères de la finance où il se reproduit par simple transfert. Et il ne fait qu’aggraver les inégalités sociales.

 

Les croyances ont la vie dure. Si la fable édifiante de « la main invisible du marché » pouvait avoir une certaine valeur au siècle de la Révolution industrielle, et faire admettre l’idée étrange que l’égoïsme de quelques uns pouvait faire le bonheur de tous, aujourd’hui ce « principe d’injustice » vient justifier un accroissement des inégalités. Pour Zygmunt Bauman, le temps est révolu où ces inégalités étaient considérées comme un fait de nature, une nécessité anthropologique, les riches ne devenant plus riches que parce qu’ils sont riches et les pauvres plus pauvres, uniquement parce qu’ils le sont. Sa démonstration est étayée par une kyrielle de chiffres qui donnent le vertige, mais c’est contre la propension humaine à la servitude volontaire que s’élèvent ses analyses. Que chacun d’entre nous ait des capacités différentes, que les conditions sociales de leur épanouissement soient diverses n’entraîne pas nécessairement que nous soyons par nature destinés à être pauvre ou riche. Il fut un temps où le déterminisme social pouvait distribuer des rôles intangibles, faire de la domination une réalité ontologique. Mais de même qu’on ne croit plus aujourd’hui à la divinité des monarques, les sacro-saintes lois du marché peuvent faire l’objet, au moins en pensée, d’un examen critique.

 

Très tôt la morale s’est mêlée à l’affaire, comme pour en rajouter dans l’acceptation et l’intériorisation des distinctions sociales. Mais la croyance dans l’inégalité « naturelle » des capacités de chacun avait pour corollaire une sorte de mesure au-delà de laquelle l’inégalité versait dans l’injustice et devenait à la fois « non naturelle » et condamnable. Les révoltes paysannes et ouvrières étaient souvent déclenchées par cet effet de seuil. Tel prélèvement ou corvée supplémentaire, telle dégradation des conditions de travail et la domination basculait dans l’inacceptable. Aujourd’hui, relève Zygmunt Bauman, l’inégalité sociale s’est affranchie de cette contrainte morale, elle s’est trouvée d’autres justifications – l’économie de marché, le fondamentalisme de la croissance – et du coup, ayant abandonné l’argument de la « naturalité », elle s’est également libérée de son contraire, le caractère « non-naturel » de ses excès.

 

Le sociologue rappelle que l’un des penseurs libéraux les plus influents du XIXe siècle, John Stuart Mill, prévoyait que la croissance devait conduire à un « état stationnaire » de l’économie, avec l’amélioration des conditions de vie, une sorte de « fin de l’économie » comme on a pu parler d’une « fin de l’histoire ». Mais cet aboutissement ne signifiait pas la fin du progrès dans son esprit. Bien au contraire – écrivait-il dans ses Principes d’économie politique – « il resterait autant de place que jamais pour toute sorte de culture intellectuelle et de progrès moraux et sociaux ; autant de place pour améliorer l’art de vivre et plus de probabilités de le voir améliorer lorsque les esprits cesseraient d’être obsédés par l’art de s’enrichir ». Une heureuse prophétie qu’il nous incombe de rattraper.

 

Jacques Munier

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